ALANIG AL LOUARN, CREATION THEÂTRALE TOUT PUBLIC A PARTIR DE 6ans
Historique de la création
C’est une pièce de théâtre tout public sur laquelle nous avons souhaité travailler dans le cadre de notre première création en mettant en application la plupart de nos ambitions : créer en langue bretonne, travailler en troupe, créer des pièces de théâtre contemporaines ne nécessitant que peu de technique et décors, utiliser un maximum d’éléments de récupération et surtout : prendre du plaisir et en donner. C’était également pour nous, l’occasion de travailler sur l’intercompréhension afin de pouvoir proposer notre travail partout (en recherchant des moyens artistiques faisant abstraction du sous-titrage/sur-titrage).
Nous avons choisi de nous inspirer librement de l’oeuvre de Jakez Riou : Troioù-kamm Alanig Al Louarn pour ses nombreuses qualités intrinsèques (universalité du propos, valeur dramatique, richesse linguistique, niveaux de lecture et d’interprétation) et parce qu’elle se prête parfaitement au type de public que nous souhaitions réunir. Cette oeuvre donne aussi l’occasion de découvrir le breton de l’auteur, savoureux, raffiné, mais néanmoins accessible, qui emporte le lecteur au gré des facéties d’Alanig al Louarn pour une parenthèse mêlant humour, cruauté et émotion. Né à Lothey en 1899, Jakez Riou est décédé prématurément, à 37 ans. Doté d’une plume aussi acérée que poignante, il a laissé derrière lui une œuvre riche (romans, poèmes, pièces de théâtre). Il est reconnu comme étant l’un des plus grands écrivains ayant participé à la rénovation de la littérature bretonne au XXème siècle.
L’histoire que raconte cette œuvre s’adresse à tous, petits et grands, jeunes et moins jeunes ; elle puise son propos dans l’observation des relations entre peuple et puissants et brosse un portrait de la société dans laquelle la plupart des individus doit se démener pour manger et ne pas être mangé, tout en évitant l’écueil d’un manichéisme trop simpliste. Au delà d’une satire sociale, c’est l’histoire de l’homme depuis qu’il est homme et des réalités sociologiques d’hier et d’aujourd’hui. Si les personnages sont des animaux, l’oeuvre n’en est pas, pour autant, totalement anthropomorphique en ce sens que les animaux, même humanisés, restent finalement des animaux. On y trouve donc un jeu permanent permettant le passage de situations comiques à d’autres tragiques, et d’aborder avec légèreté l’effet de catharsis pouvant émaner du propos. Le renard, personnage principal de cette histoire est connu dans le monde entier. Il porte plusieurs noms : Reineke, Mr Fox, Zorro,… et se trouve au cœur de nombreux ouvrages. Parmi eux, Le Roman de Renart, l’un des plus anciens du patrimoine linguistique français, écrit en langue romane entre le XIIème et le XIIIème siècle.
Jakez Riou s’est quant à lui librement inspiré de Reineke Fuchs, œuvre de Goethe. Sa version ne se limite pourtant pas à une simple adaptation ou « naturalisation » : outre le fait d’avoir « bretonnisé » et importé ce bestiaire en Armorique, notre auteur n’a pas hésité à faire fi des anachronismes en emmenant Alanig al Louarn du Moyen-Age au Brest des années 30, en tant qu’employé d’imprimerie. Le plus étonnant, peut-être, résidant dans le fait qu’il n’hésite pas à faire mourir le héros de tristesse. Fin, que nous avons choisi de traiter d’une autre manière dans notre travail de libre adaptation.
Le travail de création
Nous avons consacré le premier semestre de l’année 2011 à la création d’Alanig Al Louarn : dramaturgie, travail linguistique, jeu, scénographie, création graphique, création musicale et chansons, enregistrements, création lumière, technique générale, création et confection des costumes. Au delà des comédiens, techniciens et des adhérents de Madarjeu, ce sont un peu plus de 20 artistes qui sont intervenus et ont apporté leur contribution à la création de ce spectacle, chacun ayant donné de ses compétences tout en restant fidèle aux ambitions communes de la troupe (Chorale Allah’s Kanañ, Denez Abernot, Pascal Cariou, Gwenole Larvol…).
La langue est le support de la recherche artistique et le socle de l’élan créatif et social portés par la compagnie. Elle enrichit notre regard et notre perception du monde. Sonore ou muette, c’est bien d’elle et avec elle que surgissent nos pensées et nos paroles, que s’expriment nos corps. Elle donne forme à nos gestes, à nos actes et rythme notre jeu. C’est donc à la dramaturgie et au travail linguistique que nous avons accordé le plus de temps. Nous avons étudié, pesé, mesuré, lu, dit chaque phrase, chaque mot dans le but de proposer une pièce originale destinée à toutes les générations de bretonnants, nourrit de notre style, de nos diverses sources d’inspirations et de nos propres imaginations tout en s’attachant à ne pas dénaturer ni l’esprit, ni le propos, ni la qualité du breton de Jakez Riou. Le reste de la création a découlé naturellement de ce travail de précision que nous considérons essentiel.
Par exemple, c’est un échafaudage que nous avons installé au cœur de la scénographie. Il est le centre nerveux de la pièce. De prime abord, il pourrait lui conférer un aspect rude et sévère mais très rapidement, il en devient le lieu théâtral incontournable et évident. De façon organique, la pièce s’articule autour de lui. Cet assemblage, dont nous avons volontairement gardé l’aspect brut, est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord, à la manière de l’histoire universelle et intemporelle que nous avons choisi d’adapter à la scène, sa forme n’a pas changé depuis les premières constructions humaines. L’homme l’adapte en fonction de ses besoins mais fondamentalement, il est immuable. Il symbolise tour à tour l’échelle sociale à laquelle, pour y grimper, certains sont prêts à tout et les catégories sociales dont on sait que celles du bas peuvent choisir de monter et de s’y accrocher, bien qu’il leur soit plus aisé d’en redescendre. Cependant, que celles du haut y restent et n’en descendent que rarement.
Il peut aussi rappeler à certains ces modules de jeux publics destinés aux enfants pouvant devenir selon leur imagination, le lieu de tous les « possibles », de toutes les histoires. Pour Alanig Al Louarn, il devient : nature, palais, terrier, boucherie, basse-cour, échafaud (dénomination qu’il a d’ailleurs perdu à partir de la Révolution française)…
Nous jouons donc sur plusieurs niveaux car l’échafaudage comme l’œuvre est à plusieurs dimensions. Dans un sens, nous pourrions parler de celui-ci comme étant une construction à ce détail près qu’elle n’est qu’une installation provisoire servant à la construction d’édifices durables, à l’image des comédiens, qui, transitant de lieu en lieu, jouent en espérant laisser d’impérissables souvenirs aux spectateurs venus les voir.
Tel cet échafaudage, la plupart du matériel et des matériaux que nous avons utilisés proviennent de la récupération. Si l’oeuvre n’est pas totalement anthropomorphique (la poule par exemple), elle met en scène des animaux ayant aussi des comportements humains. Il convenait donc de trouver le moyen de retourner cette particularité afin de permettre aux comédiens de devenir animaux sans pour autant devenir animal. Nous avons joué sur les couleurs et la matière utilisée pour les costumes selon les animaux qu’ils représentent et avons créer de subtils atours « zoomorphiques ».
Tout au long du processus de création, nous avons conservé à l’esprit l’idée de l’intercompréhension. Le jeu se veut donc ouvert, accessible et clair ; les chansons, la musique et l’utilisation d’images (ombres et diapositives) viennent ponctuer le propos. Sans venir l’illustrer, chaque élément fait partie intégrante de l’histoire.
Bilan de la création
Après 6 mois de travail, nous avons proposé une création théâtrale en langue bretonne, originale, professionnelle et d’inspiration universelle. C’est une pièce tout public, comi-tragique, musclée et tonique d’une durée estimée d’1h15.
Nous avons respecté le cahier des charges que nous nous étions fixé. La pièce tourne avec 2 techniciens et 4 comédiens, sa logistique est légère. Elle peut-être proposée dans la plupart des lieux, ainsi qu’en dehors des frontières régionales. Elle a également fait l’objet d’un dépôt à la SACD.
En 5 représentations (Landerneau, Lorient, Guipavas, Morlaix, Landivisiau), Madarjeu a réuni environ 850 spectateurs, toutes générations confondues.
Si la création a souffert d’un défaut de couverture médiatique auprès de la presse régionale, plusieurs reportages lui ont été consacrés par les radios locales (Radio Arvorig FM, Radio Kerne, France Bleu Breizh Izel, RCF Rivages), la télévision (FR3 Bretagne) et la presse (YA !).
Le travail a été apprécié par de nombreux non-bretonnants, amateurs de théâtre ou non, venant de Bretagne ou d’ailleurs (Paris, Tchéquie, Finlande, Pays de Galles) nous laissant entrevoir, à plus ou moins long terme, la possibilité de futures collaborations et d’échanges professionnels.
Cependant, le travail de création suit son cours, la pièce faisant encore l’objet de recherches diverses. Tels des artisans, nous nous y appliquons, avec l’esprit, la main et le cœur. Et bien, tournons maintenant !
A notre compte, nous avons fait imprimer la pièce et sa traduction littérale en français.